Une maison du XIVème siècle au Pas-de-l'Escalette




Historique (résumé) :

Le ténement des Fabres est connu des habitants du lodévois comme ayant abrité, au début du XIIème siècle, le brigand Pons-de-l’Héras, qui, depuis son « château-repaire », perché à 728m, attaquait et dévalisait les voyageurs au Pas de l’Escalette, rive gauche de la Lergue.


Emplacement des 4 sondages. 'Tour', Ruines du castel de l'Héras


Plein de regrets et de remords, il s’en vint à Lodève un dimanche des rameaux de 1131, demanda pardon aux lodévois et se confessa à l’évêque Pierre de Raymond (évêque de Lodève de 1120 à 1154).


Au pied du castel de l’Héras, sur le versant nord, une maison médiévale a été repérée par le Groupe Archéologique Lodévois, en 1985. Il est apparu qu’elle était menacée de destruction, par le percement d’un tunnel autoroutier (A75). Une autorisation de fouille de sauvetage, accordée par le service régional d’archéologie (S.R.A.), en 1992, nous a permis de dégager et d’étudier cette habitation du XIVème siècle.


Emplacement de la maison, près du fourgon bleu,
au début des travaux tunneliers. A75-1992

Emplacement de la maison au dessus de la voiture
Préparations pour le percement des tunnels - A75-1992

Voie caladée entre Pégairolles-de-l'Escalette et Saint Félix-de-l'Héras

Dégagement de la maison - Sol caladé



Mentions écrites du ténement de l’Héras :


- 1145 : « castrum de Léras », dans une bulle du Pape Eugène III.

- 1255 : « castrum », dans l’inventaire de Briçonnet Fol 100 v.k.

- début XIVème siècle : « castrum de Lératio », mentionné par Bernard Gui, Evêque de Lodève.

- 1471 : « castri vétéris », dans les actes du livre de M. Lauthard, notaire de Lodève.

- 1671 : « chasteau de Léras », dans un compoix de St Félix-de-l’Héras.

- début XXème siècle : « castel de l’Héras » et « lou castelas », dans les cadastres de St Félix-de-l’Héras.

- 1982 : « l’Héras », dans le cadastre de 1982 section AD, St Félix-de-l’Héras.


Description sommaire des structures dégagées :


Dessin maison du XIVème siècle
Restitution de l'espace intérieur
(après la fouille. Sondages II et III. 1992)
  
Dessin maison du XIVème siècle
Coupe nord-sud de la maison et de l'appentis



Dégagement du mur nord de l'appentis - Escalier. 1992

Les murs, le sol, le caniveau

La maison est constituée de deux parties rectangulaires séparées par un mur mitoyen : l’espace habité, au sud, divisé en deux, un foyer, au fond un espace de vie. L’autre partie, au nord, servait d’appentis et permettait peut-être d’abriter un mulet.



Fer à mulets-Sondage II, couche 4 - XIVème s.

Les différents murs, de 0 mètre 80 de hauteur, sont construits à pierres sèches en calcaire local, (pas de mortier visible). Par contre, au sud, le fond de la maison est constitué par le rocher taillé verticalement sur 2 mètres 30 de longueur, à partir de l’angle sud-est, sur 1 mètre 60 de hauteur, et un mur dans le prolongement. Dans cette pièce sud, la surface rocheuse, taillée, sert de sol. Le sol du reste de la maison est recouvert de dalles en calcaire. Un caniveau d’évacuation des eaux a été aménagé et traverse entièrement la maison, du sud au nord.

La toiture, la charpente

La toiture est constituée de grandes lauzes en calcaire recouvrant entièrement la maison. En effet, nous avons retrouvé cette couverture de lauzes sur toute la surface du sol, montrant qu’elle s’est effondrée en un seul tenant.

Il semble que la partie supérieure des murs de soutènement de la maison, ait été construite en bois, car nous n’avons trouvé que très peu de pierres taillées ou équarries, pouvant provenir de murs, dans et autour de la maison. Il semble également que la toiture de lauzes ait été soutenue par des «fagots» de buis disposés sur une charpente en bois.

Les escaliers, le seuil

Un escalier en pierre permet de descendre dans l’appentis, sans passer par l’extérieur. Un second escalier, extérieur celui-ci, permettait, au nord-est, de monter au niveau de la maison et de pénétrer dans celle-ci.

Dimensions de l’habitat (voir dessins ci-dessus)


Le mobilier archéologique découvert, documents de la vie matérielle au XIV ème siècle (quelques exemples)


+ culinaire : couteaux, vaisselle (céramique, verre, os…), hachoir…

Outils en fer (hachoir, couteaux, gouge)
Sondage II, couche 4 - XIVème s.

'Cuillères', et manche d'outil, en os
Sondage II, couche 4 - XIV ème s.


+ agricole : faucilles, pierre à aiguiser, meule…

Faucilles en fer, du XIVème siècle - Sondages II, III, et IV

+ poterie : stock d’argile, vaisselle…

Grandes cruches en terre cuite - Contenance, 12 litres environ - XIVème s.
(Sondage II, couche 4)

Grand récipient à 4 anses, en terre cuite grise - XIVème s.
Sondage II, couche 4 (photo et dessin)

Tessons de céramique majolique, XIVème s. (hispano-mauresque)
Sondage II, couche 4

+ élevage, chasse : faune (brebis, cochon, chevreuil…), sonnailles…

+ travail du fer :



 . outils (couteaux, hachoir, gouge, seau),

Anse et fond de seau en fer, trouvés non loin du foyer - Sondage II - XIV ème s.

     . matériel divers (clous, boucles de ceintures, fers à mulets, clés, crochets, auberonnière…


Paumelle, clous, ardillon, clés, auberonnière, en fer
Sondage II, couche 4. XIV ème siècle

+ armes : carreaux d’arbalète, bouterolles décorées…

Carreaux d'arbalète, en fer - Sondages II et III

+ tissage : fusaïoles…

Six fusaïoles de tissage, en terre cuite, et une en plomb (en bas, à droite) ;
et un bouchon - Sondage II, couche 4 - XIVème s.

+ bijoux, ornement : perle, bracelet, éléments de décoration…

Deux bouterolles décorées, en tôle de bronze ;
et un élément de décoration en bronze doré
Sondage II, couche 4. XIVème s.


Périodes antérieures au XIVème siècle

Autour de cet habitat médiéval, sous le sol dallé, au sommet du piton et sur ses pentes sud, des présences humaines ont été constatées, grâce à la découverte de nombreux fragments d’objets de la vie matérielle. Pour résumer :

- un outil complet, daté du paléolithique inférieur (musée de Lodève),

- des outils ou armes en silex, entiers ou sous forme d’éclats (dépôt de fouilles),

- des fragments de haches en pierre polie,
Talon de hache, en pierre verte
Sondage III, couche 5 - Néolithique

- deux « pendeloques/affûtoir » en schiste. Epoque à déterminer,

'Pendeloques' en schiste - Trouvées dans le remplissage d'une cavité

- de la céramique de l’âge du bronze,

Tessons en terre cuite, comportant un bord
Bronze final Age du fer, 550 ans avant notre ère environ

- de la céramique décorée du bronze final/âge du fer,

Tessons en terre cuite décorée de cordon à impressions
Sondage III - 1er âge du fer, 550 ans avant notre ère environ

- de la céramique à décor peigné du 1er âge du fer,

Tessons en terre cuite peignée
Sondage II, couche 6- 1er âge du fer,
550ans avant notre ère environ

- des meules rotatives en basalte, de l’époque gallo-romaine (dépôt de fouilles), 

- un élément de décoration en bronze doré. Gaulois ?,

- une boucle de ceinture décorée, en plomb moulé, 

Boucle de ceinture, en plomb, décorée - Sondage II, couche 4 

- un sabre court en fer, du haut moyen âge ?…


Sabre court (45cm), et lame de couteau, en fer
Sondage III, couche 5 - Haut moyen âge


« Abandon » du site. Pourquoi ?

Le XIVème siècle est une période troublée et difficile. En effet :

Commencement d’un changement climatique important, avec une grande humidité du printemps à la fin de l’année. Petit âge glacière au début du XIVème siècle. A cette époque, il n’y a pas beaucoup d’hygiène, ce qui aggrave et provoque des maladies et la mort. Les récoltes sont pauvres et la famine fait des ravages. La peste fait son retour en 1347 et un habitant sur trois va en mourir.

De plus les attaques de bandits, voire de gens affamés, sont fréquentes. L’habitat du Pas-de-l’Escalette a, semble t’il, été attaqué et brûlé. Le sol est en partie couvert de cendre, des lauzes sont éclatées, et des carreaux d’arbalètes (pointes de flèches en fer) ont été trouvés.

Les travaux de recherche archéologique ont aussi été abandonnés, faute de temps et de moyens. Paradoxe : les engins mécaniques approchaient, nombreux, pour le percement des tunnels (A75 oblige)…


Conclusions-Réflexions

La population de cet habitat médiéval, sans oublier le castel de l’Héras, situé au-dessus, sur le piton dolomitique, et d’autres maisons non fouillées, vivait en partie en autarcie, mais aussi d’échanges entre la plaine et le plateau du Larzac.

Rappelons les avantages de la position de ce lieu :

- le piton rocheux dominant le Pas-de-l’Escalette, sur lequel est érigé le castel de l’Héras, d’où l’on pouvait surveiller, se cacher, se défendre, voire attaquer,

- de l’eau en grande quantité : rivières Lergue et Audran, ruisseau, source,

- des poissons et des écrevisses dans les cours d’eau,

- du gibier en abondance,

- un couvert forestier et des terres cultivables. Présence de baies et graines,

- du bois pour les constructions, le chauffage, la cuisson des aliments,

- de l’argile pour la poterie, de la pierre, du minerai de fer,

- un passage obligé entre plaine méditerranéenne et plateau.




Sources

- Prospections du Groupe Archéologique Lodévois.

- Gérard Mareau et Bernard Derrieu : le Pas de l’Escalette, révélé par l’histoire et l’archéologie. Les cahiers du Lodévois-Larzac n° 21. 2005.

- Pierre Delon, Gérard Mareau, Maurice Cauvy, le G.A.L. : Le château de Montbrun à Lodève (Hérault). Bulletin du G.R.E.C. N° 50.51, pages 35 à 44. 1989. Archéologie en Languedoc, pages 161 à 174. 1985.

- Gabrielle Démians d’Archimbaud : Les céramiques médiévales du Midi de la France. 1971.

- Groupe de recherches archéologiques de Monségur et environs : Monségur, 13 ans de recherches archéologiques. 1980.

- C.N.R.S. Editions : La céramique Médiévale en Méditerranée Occidentale, Xème-XVème siècle. Valbonne 11-14 septembre 1978.

- Jacques Thiriot : Les ateliers médiévaux de poterie grise, en Uzège et dans le Bas-Rhône. Documents d’Archéologie Française (DAF). Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, Paris. 1986.



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